Il est évident que la COVID-19 a bousculé l’économie et le monde du travail à travers le monde entier. En mars 2020, la France a été mise en confinement total, et de nombreuses entreprises ont dû s’adapter à de nouvelles manières de travailler, que ce soit à travers la mise en place du télétravail, des changements de rythmes de production, ou encore l’arrêt total du fonctionnement de l’organisation. Cette crise sanitaire a donc chamboulé les entreprises : comment faire face aux risques financiers, technologiques, et de conformité suite à la pandémie ?
Au Big Data Paris 2020, nous avons eu le plaisir d’assister à la table ronde “Comment déployer une gouvernance des données performante et adoptée par tous” animée par Christina Poirson, Groupe CDO de la Société Générale, Chafika Chettaoui, CDO du Groupe Suez et Elias Baltassis, Partner & Director, Data & Analytics du Boston Consulting Group. Dans cette table ronde d’environ 35 minutes, les trois experts data nous expliquent l’importance et les “best practices” de la mise en place d’une gouvernance des données.
Les premières étapes pour implémenter une gouvernance des données
L’impact du COVID-19 n’a pas été sans souligner le défi essentiel de la connaissance, de la collecte, de la conservation et de la transmission de données de qualité. Donc, est-ce que le confinement a poussé les entreprises à vouloir mettre en place une stratégie de gouvernance des données ? Cette première question répondue par Elias Baltassis a confirmé la forte augmentation de demande de mise en place de gouvernance des données en France :
“le confinement a certainement accéléré la demande de mise en place de data governance ! La gouvernance des données était déjà un sujet pour la majorité de ces entreprises bien avant le confinement, mais la crise sanitaire a bien sûr poussé les entreprises à renforcer la sécurité et fiabilité de leur patrimoine de données.”
Mais donc, quel est l’objectif d’une gouvernance des données ? Et par où commencer ? Elias nous explique qu’il faut tout d’abord faire un diagnostique des actifs de données dans l’entreprise, et identifier les points de friction : “Identifiez les endroits dans l’entreprise où il y a une déperdition de valeur à cause de la mauvaise qualité des données. Ceci est important car la gouvernance des données peut facilement dériver vers un exercice bureaucratique, et c’est pour ça qu’il faut toujours garder comme “guide” la valeur créée pour l’organisation, qui se traduit par une meilleure accessibilité, meilleure qualité, etc”.
Une fois que le diagnostique a été posé et que les sources de valeur sont identifiées, Elias nous explique qu’il y a quatre étapes de méthodologie à suivre :
- Connaître les données d’entreprise, leur structure, et à qui elles appartiennent (via un glossaire de données par exemple),
- Mettre en place une politique de données ciblée sur les points de friction,
- Choisir le bon outil pour déployer ces politiques à travers l’entreprise
- Mettre en place une culture des données au sein de l’organisation en commençant par embaucher des personnes data-driven, telles que des Chief Data Officers.
La méthodologie ci-dessus est donc primordiale avant de démarrer tout projet de gouvernance des données qui, selon Elias, peut se mettre en place assez rapidement : “la gouvernance des données peut être implémentée rapidement, par contre l’augmentation de la qualité des données va prendre plus ou moins de temps, ça dépend de la complexité de l’entreprise ; une entreprise qui travaille avec un seul pays prendra moins de temps qu’une entreprise travaillant avec toute l’Europe par exemple”.
Le rôle du Chief Data Officer dans la mise en place d’une gouvernance des données
Au tour de Christina Poirson, qui explique que pour elle et la Société Générale, la gouvernance des données a joué un rôle très important durant cette période exceptionnelle : “heureusement que nous avions mis en place une gouvernance des données qui a su assurer la qualité et la protection des données durant le confinement à nos clients professionnels et particuliers. Nous avons réalisé l’importance du couple digitalisation et data qui s’est montré vital pour non seulement notre travaille durant la crise, mais également pour les activités de demain”.
Mais donc, comment est-ce qu’une entreprise aussi grande, ancienne et ayant des milliers de données comme la Société Générale a-t-elle pu mettre en place une nouvelle stratégie de data governance ? Christina nous explique que la donnée au sein de la Société Générale n’est pas un sujet récent. Effectivement, dès la naissance des premières agences, la firme a demandé des informations sur le client afin de pouvoir le conseiller sur quel type de prêt mettre en place par exemple.
Cependant, la CDO de la Société Générale nous affirme qu’il y a aujourd’hui, avec la digitalisation, de nouveaux types, formats et volumes de données. Elle confirme ce qu’Elias Baltassis disait juste avant : “La mise en place d’un data office et de Chief Data Officers était une des premières étapes dans la stratégie data de l’entreprise. Notre rôle est de maximiser la valeur des données tout en respectant la protection des données sensibles, ce qui est très important dans le monde de la banque !”
Pour faire cela, Christina explique que la Société Générale accompagne cette stratégie tout au long du cycle de la donnée : de sa création jusqu’à sa fin de vie en passant par sa qualification, sa protection, son utilisation, son anonymisation et sa destruction.
De l’autre côté, Chafika Chettaoui, CDO du groupe Suez explique qu’elle se voit en chef d’orchestre :
“ce qui manquait à Suez c’était un chef d’orchestre qui doit organiser comment la technique peut répondre à un objectif métier. Aujourd’hui avec le nombre de données qui augmente, le CDO doit être le chef d’orchestre pour les départements IT, métier, et même ceux du RH et de la communication car la transformation data et digitale est surtout une transformation humaine. Il doit être l’organisateur afin d’assurer la qualité et l’accessibilité des données ainsi que leurs analyses.”
Mais surtout, les deux intervenantes sont d’accord pour dire qu’un CDO ont deux principales missions :
- La mise en place de différentes normes sur la qualité et protection des données,
- Doit casser les silos data en créant un langage commun autour de la data , ou la data fluency, dans toute partie de l’entreprise
L’acculturation des données dans l’entreprise
Nous n’avons pas besoin de vous rappeler que la mise en place d’une culture des données au sein de l’entreprise est essentielle pour créer de la valeur avec ses data. Christina Poirson explique que l’acculturation data a été assez longue pour la Société Générale :
“Pour mettre en place une culture data, nous sommes passés par la cartographie des données à tous les niveaux des structures managériales, du top management au collaborateur. Nous avons également dû mettre en place des sessions de coaching, des formations de coding ou autres sensibilisations dédiées. Nous avons aussi mis à disposition tous les cas d’usage du groupe SG dans un catalogue d’idées qui sert à ce que chaque entreprise du groupe (quel que soit le pays) puisse être inspirée : c’est une bibliothèque de cas d’usage qui est là pour inspirer les gens.”
Elle continue à expliquer qu’ils ont d’autres manières d’acculturer les employés à la Société Générale :
- La mise en place de bibliothèque d’algorithmes pour réutiliser ce qui a déjà été mis en place
- Mise en place d’outils spécifiques pour évaluer si la donnée est conforme aux réglementations
- Rendre les données accessibles en passant par un catalogue de données du groupe
L’acculturation des données n’était donc pas un long fleuve tranquille pour la société générale. Mais, Christina reste positive et nous raconte une petite analogie :
“la data c’est comme l’eau, des DSI sont les tuyaux, et les métiers font des demandes liées à l’eau. Il doit donc avoir une symbiose entre la DSI, l’IT et les métiers”.
Chafika Chettaoui ajoute : “Effectivement, il est impératif de travailler avec et pour le métier. Notre travail est de nommer des gens chez les métiers qui vont être responsable de leurs données. Il faut redonner la responsabilité à chacun : l’IT pour la construction de la maison, et le métier pour ce qu’on met à l’intérieur. En mettant cet équilibre-là, il y a un vrai aller-retour et non pas juste l’IT qui est responsable de tout”.
Les rôles dans la gouvernance des données
Bien que les rôles et responsabilités varient d’entreprise à entreprise, lors de cette table ronde, les deux Chief Data Officers nous expliquent comment fonctionne l’attribution des rôles au sein de leur stratégie data.
À la Société Générale ils ont des convictions assez forte. Premièrement, ils mettent en place des “Data Owners”, qui font partie du métier, qui sont responsables de :
- la définition de la donnée
- les principaux usages
- le niveau de qualité associé
Par contre, si un utilisateur data veut utiliser une donnée, il n’a pas à demander la permission du Data Owner, sinon ça crispe tout le système. De ce fait, la Société Générale met des dispositifs qui font qu’ils vérifient le respect des règles et réglementations, sans pour autant mettre en cause le Data Owner : “la donnée chez nous appartient soit au client, ou à toute l’entreprise, mais pas une BU ou département particulier. On réussit à créer de la valeur à partir du moment où les données sont partagées”.
Chez Suez, Chafika Chettaoui confirme qu’ils ont la même définition du Data Owner, mais il ajoute un autre rôle, celui du Data Steward. À Suez, le Data Steward c’est celui qui est sur place, qui s’assure que le flux de données fonctionne. Elle explique : “Le Data Steward c’est quelqu’un qui va animer ce qu’on appelle les Data Producers (les personnes qui collectent les données dans les systèmes), s’assurer qu’ils soient bien formés et qu’ils comprennent la qualité des données, et celui qui vont tenir les dashboards de reporting et analyser s’il y a des incohérences. C’est quelqu’un du métier, mais avec une vraie valence data et une compréhension de la donnée ainsi que de sa valeur”.
Quelles sont les bonnes pratiques essentielles pour la mise en place d’une gouvernance des données ?
Ce qu’il ne faut jamais oublier dans l’implémentation d’une gouvernance des données c’est de se rappeler qu’une donnée n’appartient pas à une seule partie de l’organisation mais doit être partagée. Il est donc impératif de normer la donnée. Pour cela, Christina Poirson nous explique l’importance d’un dictionnaire des données : “en ajoutant un dictionnaire des données incluant le nom, la définition, le data owner, et le niveau de qualité de la donnée, vous avez déjà une première brique dans votre gouvernance”.
Comme mentionné ci-dessus, la deuxième bonne pratique de la data governance c’est de définir des rôles et responsabilités autour des données. En plus d’un Data Owner ou Data Steward, il est essentiel de définir une série de rôles pour accompagner à chaque étape clé de l’utilisation des données. Certains de ces rôles peuvent être :
- Data Quality Manager
- Data Protection Analyst
- Data Usages Analyst
- Data Analyst
- Data Scientist
- Data Protection Officer
- etc
Pour une dernière recommandation de bonne pratique pour une gouvernance des données réussie, Christina Poirson nous explique l’importance de connaître son environnement data ainsi que de connaître son appétence aux risques, les règles de chaque métier, industrie et service pour réellement faciliter l’accessibilité aux données et le respect des lois.
…et les erreurs à éviter ?
Pour finir la table ronde, Chafika Chettaoui nous parle des erreurs à éviter pour réussir sa gouvernance. Selon elle, il ne faut surtout pas commencer par la technologie. Même si évidemment, la technique et l’expertise sont essentielles à une mise en oeuvre d’une gouvernance des données, il est très important de se concentrer tout d’abord sur la culture de l’entreprise.
Chafika Chettaoui affirme : “Mettre en place une culture des données avec des formations est essentielle. D’un côté il faut casser le mythe que les données et l’IA sont “magiques”, et d’un autre côté casser le mythe de “l’intuition” de certains experts, en expliquant l’importance des données dans l’entreprise. L’aspect culturel est clé, et à tout niveau de l’organisation. ”